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- Algérie - Skikda-Rusicade
Jean Paul CASTANET pour me contacter :
RECIT DE CUOMO RENE
PHILIPPEVILLOIS
NE EN 1948
Son mail:
rene.cuomo@orange.fr
(le 16-4-2011:J'ai parcouru mon récit sur
votre site, je vous en remercie. Cela fait un moment que j'avais en tête
d'écrire de mémoire mon principal passé en tant que Philippevillois. Pour moi, il ne faut pas que notre histoire
tombe dans l'oublie, en plus je fais partie de la toute dernière
génération qui peut encore porter un témoignage. C'est, pour moi, une façon de rendre
hommage à nos ancêtres qui ont construit ce si beau pays. Merci encore et je reste un fidèle lecteur
de votre site. Vous avez tout mon soutien. Amitié, René.)
Avec mes parents, nous habitions dans une ferme implantée au Fg. de
l’espérance à PHILIPPEVILLE, au lieu-dit Monté Christo. Je ne connais
pas le pourquoi de ce nom comme lieu-dit. La plupart de mes ancêtres
viennent d’ISCHIA (Italie). Cette ferme de près de 4 hectares
comportait une maison construite en 1872 avec un étage et un balcon,
d’une grande longueur, qui dominait tout le secteur.
Sur le versant face à nous était implantée la ferme MATTERA, puis le
quartier du Montplaisant qui menait vers la ville et le Fg. Toujours
sur ce versant et à gauche, le Fort National avec ses remparts et la
poudrière. Le quatre routes allait en direction du Béni Mélek. Au bas
des deux collines un ravin se prolongeait vers le Fg, une route en
terre battue nous menait vers les commerces du Faubourg de l’espérance
et le centre-ville en longeant le cantonnement de la CRS 212, puis
l’église Ste Thérèse. De notre côté, sur la droite, nous avions pour
voisin une ferme d’un cousin, puis, à une distance de 600 m environ, la
caserne de Gendarmerie et la cité indigène. Derrière, à 500m, le
cimetière Musulman avec au-delà la mechta Fétoui et la montagne.
Nous étions en pleine nature et surtout au premier poste pour les
évènements décrits après. Notre vie fût simple. Papa travaillait sur le
port. Quand j’arrivais de l’école, j’allais dans les champs couper
l’herbe aux lapins et en même temps manger les fruits de saison
cueillis sur l’arbre. Je m’occupais de la basse-cour et le soir, au
retour de mon père, nous entretenions un jardinet. Tout cela se faisait
normalement, sans la peur ou la crainte. Vers 20h00, nous étions à
l’étage sur le balcon, dans le noir, afin d’écouter les infos à la
radio. Souvent nous entendions des coups de feu provenant de fermes
isolées et attaquées en direction de St. Antoine. Mon père devinait
très exactement les lieux. Parfois, en pleine nuit, il veillait en se
postant, en position allongée, sur le balcon, avec le fusil à la main.
Par contre jamais notre maison ne fût inquiétée. Le personnel de la CRS
et de la Gendarmerie, de faction dans les miradors, actionnait les
projecteurs en notre direction à chaque fois que cela était nécessaire.
Dans la journée, nous vaquions à nos occupations tout naturellement.
Le dimanche et jours fériés, il y avait la visite des membres de notre
famille et c’était le bonheur de nous revoir. Pour nous P.N., c’était
plus que du folklore, une éthique, une franche rigolade. Cette joie que
tout P.N. portait en lui, il suffisait de l’amorcer. Malgré les
circonstances de la guerre il y avait le goût de se réunir, le goût du
rire pour le plaisir.
Après ce préambule, je vais décrire certains faits relatifs à la guerre.
Le 20 AOUT 1955 :
Cette journée débute tout à fait normalement, le soleil et la
chaleur
d’un mois d’Août commençait à dominer. Vers 09h00, ma mère, fait ses
courses habituelles au Fg, le marchand de légumes du nom de BOURMISS
dit à maman de rentrer vite à la maison car aujourd’hui, ça ne va pas.
Mon père était au travail. Mon frère Louis, militaire du contingent et
en détente, se trouvait parmi nous. Tous les deux, nous étions à
l’étage dans une pièce pendant que maman s’occupait de la préparation
du repas au rez de chaussée.
Soudain à midi pile, nous avons entendu quelques coups de feu, les
youyous prolongés des femmes et la sirène donnant l’alerte. Toute la
famille (maman, mes 2 sœurs un oncle mon frère et moi) se retrouve sur
le balcon.
A notre grand étonnement, nous voyons les musulmans descendre notre
versant par la gauche, puis remonter en face pour se rendre vers la
ville et le Fg par le quartier du Montplaisant.
Je dirai que le nombre d’assaillants était conséquent. Il n’y avait à
ma connaissance que des hommes qui s’encourageaient.
Ils devaient être porteurs d’armes par destination. Je n’ai pas
distingué des hommes armés de fusils. Il devait y avoir des points de
ravitaillement en armes vers le Montplaisant. On entendait très peu de
coups de feu. Un seul musulman est venu se réfugier vers notre demeure.
Mon frère l’avait mis en joue avec le fusil de chasse de mon père. Ma
mère s’est interposée en interdisant mon frère de tirer. Ce jour-là, ma
mère nous a sauvés la vie, car que serions-nous devenus plus tard ? La
vengeance aurait été sanglante. Soudain, elle réalise et nous
commente le message dit par le commerçant le matin.
Pendant cette course à travers la montagne et en direction de la ville,
j’ai pu voir des balles arriver dans la terre et aux pieds des
émeutiers. Un nuage de poussière se soulève, on croit l’objectif
atteint, mais personne n’est touché. Ces tirs provenaient de la
Gendarmerie et on devinait que la caserne subissait des attaques.
J’évalue, la durée de ce mouvement vers le centre à une heure environ.
Les terroristes venaient très certainement de la montagne à l’arrière
et de la mechta Fétoui. Ce passage ne s’est pas fait près de notre
maison.
Le soleil battait son plein. Une partie du repas fût pris, l’envie n’y
était pas. Ma mère s’interrogeait sur la situation de mon père, nous
n’avions pas de nouvelles. L’heure a été choisie avec précision, c’est
la fin du travail de la matinée, le début du repas méridien et aussi la
sieste qui ne tardera pas à débuter en cette période d’été. Nous
comprenons très vite qu’une insurrection sur Philippeville et ses
environs était entrée en action. A cette époque, les moyens de
communications sont limités et donc les informations en direct sont
nulles.
Vers 16h00, j’ai vu un nuage de fumée s’élever depuis la cité indigène.
Je crois qu’une bonne partie de ce lieu a été détruit. Il en a été de
même pour la mechta Fétoui. Par la suite, j’ai su que l’armée avait
fait le « ménage ».
A la ferme, exploitée par mon oncle, il y avait deux ouvriers qui sont
restés dans leur demeure. L’un d’eux, avait fait la guerre 14/18. Il
avait des décorations militaires qu’il portait sur sa veste de sortie.
Cet homme a toujours été respecté. Je me souviens d’être allé avec lui
en charrette jusqu’à l’hôpital de la ville pour récupérer les restes
des cuisines pour les cochons de la ferme. J’ai même mené la charrette
en pleine ville avec l’ouvrier à côté.
Vers les 17h00, mon père arrive chez nous avec son vélo à la main, car
la côte est dure. A ce moment-là, il nous raconte qu’il a quitté le
travail à midi et comprenant ce qui arrivait, il décide de se réfugier
chez sa sœur, rue Hippocrate. Là, il attend qu’un calme relatif
revienne pour pouvoir remonter vers Monté Christo. Il nous raconte
qu’il a vu des cadavres dans la rue principale, des chevaux morts et
surtout le début de la rafle faite par les paras. Les insurgés étaient
entassés dans les GMC. Nous l’avons su par la suite, ils seront
conduits au stade de Philippeville où ils seront tués et enterrés sur
place. Après 1962, l’état algérien dénonce ce charnier.
Le lendemain nous apprenons le massacre de la mine El Halia commis en
grande partie par les ouvriers de la mine. Il y a beaucoup de morts et
de blessés.
Ce jour-là, beaucoup de personnes sont mortes ou se sont retrouvées
mutilées par armes par destination sur les différents points
d’insurrection.
Notre vie à la ferme suit le cours des évènements. Je me souviens très
bien du jour de l’enterrement des victimes de la mine au cimetière de
la ville. Les cris et les pleures nous parvenaient jusqu’à nous. Nous
partagions la souffrance des familles. J’ai revu, cette année, une
vidéo, ce son de douleurs m’est revenu en mémoire. Tout cela restera
toujours en moi et en tout Philippevillois.
A la ferme de mon oncle Michel de l’Oued Louach, il y a eu le même
scénario. Ma tante Marie se trouvant seule, décide de fermer à clé la
maison et de partir à 500m de là, pour grimper dans une orangeraie,
afin de se cacher. Elle voyait dessous les terroristes courir vers les
objectifs à atteindre. Mon oncle, revenant de la ville, a eu toutes les
peines du monde pour retrouver sa femme. Il faut dire que ma tante
avait un courage extraordinaire.
Je ne crois pas que dans ma famille il ait eu des morts ou des blessés
ce jour-là.
A la suite de çà, ont été installées plusieurs rangées de fil de
fer de barbelé qui allaient du haut de la ferme MATTERA en passant au
bas du ravin pour remonter vers la gendarmerie. Je suppose que des
musulmans incarcérés procédaient à la pose de ce barrage et étaient
gardés par les militaires. Les points de passages ouverts étaient vite
fermés par l’armée lors d’attentats en ville. Nous étions à l’extérieur
du périmètre pendant ce bouclage qui pouvait être de jour comme de
nuit. A ce moment-là, nous étions protégés. Bien souvent, le
matin, au réveil, mon père offrait le café et le raisin à l’eau de vie
aux militaires en faction près de la maison.
Il est arrivé aussi à mon père de sortir la nuit lorsqu’il entendait du
bruit ou que les chiens se manifestaient. Il est sûr qu’il a parfois
rencontré et côtoyé des rebelles. Ils étaient très bien
renseignés. Mes parents, comme beaucoup d’autres, ne prenaient pas
partie dans cette guerre. Nous vivions en bonne entente avec les
musulmans. Heureusement pour nous. Nous avions de la considération pour
les ouvriers. J’établissais moi-même leurs fiches de paye. Aux fêtes
musulmanes, certaines familles nous offraient les plats traditionnels.
Ma mère en faisait de même lors de nos fêtes. Cela se limitait à une ou
deux familles.
En Juin 1956 :
L’assassinat du garde champêtre OLLA, je m’en souviens, j’avais
8 ans
et j’ai vu les trois terroristes repartir vers l’arrière-pays en
passant côté ravin. Mon père s’est posté avec son fusil à un endroit
stratégique et ne serait intervenu que s’ils avaient décidé de venir
vers nous. En même temps, un ouvrier de la ferme s’approche de lui. Il
lui demande de tirer. Mon père reste vigilant et ne répond pas.
Quelques jours passent et cet ouvrier disparait . Mon père, grand
chasseur de sangliers, se trouve sur un secteur de chasse préalablement
encerclé par l’armée. A sa grande surprise, il revoit cet ouvrier
engagé dans les harkis. Mon père s’est senti soulagé.
En 1963, un ancien de l’ALN intercepte mon père sous les arcades. Ce
combattant le savait chasseur et bien souvent il était posté avec ses
collègues pas loin du lieu de chasse. Les fellaghas avaient pour
consigne, de ne pas intervenir sur ces chasseurs, car ils considéraient
la chasse comme leur passe-temps.
Beaucoup de fermes ont été attaquées et les occupants assassinés. Je me
souviens d’avoir servi la messe, comme enfant de chœur. Devant moi, à
l’office, il y avait les parents et le fils dans trois cercueils.
La vie après :
Le champ en contre bas de la ferme des MATTERA, comportait une forêt
d’eucalyptus et les dimanches les Musulmans venaient y jouer aux
dominos. Malheur s’il y avait un tricheur, cela se terminait à coup de
couteaux. D’ailleurs, vers 1957, ce bois fût abattu par la
municipalité.
Pour moi, j’allais en ville sans problème. Jamais, je n’ai eu une
quelconque peur. Le jour de l’arrestation des Généraux du putsch, à
pâques 1962, je me trouvais dans la montagne.
Ma mère, entendant l’information au poste, se précipite en bout du
balcon
pour me dire, en criant, de revenir vite. Tremblante de peur, elle
m’annonce la nouvelle.
Nous avons vécu jusqu’au 14 juin 1963 à Philippeville. La ferme est
abandonnée en février 1963 avec regret. J’ai laissé à la rampe du
balcon une hampe où est accroché un petit drapeau Bleu Blanc Rouge.
Début Juin, lorsque j’y suis retourné, ce drapeau était toujours là.
Après, nous habitons rue de Constantine. Pendant 3 mois, le soir, je
mangeais les brochettes achetées au marchand dans la rue. Elles
coûtaient 10 centimes de franc. J’ai pu voir quelques films aux
différents cinémas. Quand Monsieur BEN BELLA est venu en visite
officielle à PHILIPPEVILLE, je me suis mélangé à la foule et entendu
son discours à l’Hôtel de Ville. Evidemment, le peuple scandait son nom.
Voilà, une partie de mes souvenirs est évoquée.
Le 14 Juin 1963, à bord du paquebot «
Commandant Quéret »,
nous quittons PHILIPPEVILLE à tout jamais.
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Photo prise d'avion avec explication
--- Cliquez sur la photo pour l' agrandir ---
Je vais vous commenter la photo d’une vue aérienne
montrant
l’entrée du Faubourg de l’espérance, en venant de St. Antoine et en
allant sur la gauche à l’arrière de l’église Ste. Thérèse.
Je remercie Messieurs REYNAUD Gilles et MATHIOT Michel d’avoir pu me
retrouver cette vue aérienne qui pour moi est unique.
Elle doit dater des années 48/50.
Sur la photo il y a des tracés foncés qui montrent :
1°)- Le parcours depuis l’église pour aller jusqu’à la ferme de Monté
Christo. Là, par rapport à mon récit, l’image à toute son importance.
2°)- Le tracé vertical montre l’église Ste. Thérèse.
3°)- Le semblant d’arbre sur un immeuble, La caserne de la CRS.
N°212.
Ce lieu m’était connu car je côtoyais souvent les Policiers.
4°)- Sur la gauche, la route menait en direction de l’Oued Louach
et on voit un rond noir au pied d’un immeuble, lieu de la caserne de
Gendarmerie.
5°)- Les deux triangles désignes : la cité indigène (près
de la Gendarmerie), et la mechta Fétoui.
6°)- Les deux croix représentent le cimetière Musulman.
Une partie de ces terres appartenaient à la propriété de ma
Grand-Mère Maternelle et achetées par la Mairie.
Je vous propose une photo actuelle par satellite et où je repositionne
les sites ci-dessus.