-C'est à vous mes enfants qui n'avez pas connu ce paradis
- Qu'aujourd'hui je m'adresse et à tous je vous dis :
- Beaucoup trop de gens sur ce sujet vous ont menti !
-Alors laissez-moi vous expliquer ce qu'était l'Algérie.
-Vos Aïeux venaient de France, d'Espagne ou d'ailleurs,
-Tous des pauvres gens ni plus mauvais, ni meilleurs,
-Durs au travail et, c'est vrai, exubérants et ripailleurs.
-Mais c'était toujours et, avant tout, des gens de cœur.
-Puisqu'on leur fit croire que ce pays était le leur
-Pendant plus d'un siècle ils mirent cette terre en valeur.
-Ni l'insalubrité, ni le travail ne leur faisaient peur :
-Ils étaient certains d'avoir trouvé le bonheur.
-En vérité, il y avait bien un Blachette et un Borgeaud
-Mais d'autres de cette terre ne possédaient qu'un morceau.
-La majorité, elle, n'avait que ses bras pour tout joyau.
-Mais jamais aucun d'eux ne fit payer un verre d'eau.
-Quand les guerres furent déclarées et la Patrie en danger,
- Antoine, Jean, Ali, qu'ils soient français ou étrangers,
-Tous furent volontaires et prêts à se faire tuer !
-Les cimetières et les monuments peuvent en témoigner.
-Français, Espagnols, Maltais, Portugais, Mahonnais ou Italiens,
-Notre communauté s'appelait déjà les Européens.
-Par nos origines nous étions tous des chrétiens,
-C'est tout ce qui nous séparait de nos amis algériens.
-Nous pensions avoir été compris un jour du mois de mai
-Dans l'euphorie nous n'avions pas saisi le faux du vrai.
-Il nous a fallu laisser notre maison à défaut de palais
-Et quitter ce pays et cette terre dans le plus bref délai.
-C'est alors que l'exode nous a fait changer de rivages,
-Connaitre d'autres cieux et d'autres visages.
-Mais nous garderons toujours en mémoire nos paysages
-Et rien ne remplacera nos villes et nos villages.
-Et puisque « Pieds-Noirs » on a voulu nous appeler,
-Ce nom il nous a fallu d'abord le valoriser
-Et nous battre pour le faire respecter !
-A vous, mes enfants, il vous reste à le faire aimer.
-Maintenant me voila au crépuscule de ma vie
-Et avant de vous quitter, mes enfants, je vous le confie.
-Défendez l'œuvre de vos Aïeux de toute votre énergie
Pour que soit connue, enfin, la Vérité sur l'Algérie.
On nous appelle "Pieds Noirs" et ces deux mots jetés
Péjorativement, souvent comme une insulte,
sont devenus pour nous bien plus qu'un sobriquet.
On nous appelle "Pieds Noirs" avec cette nuance
De dédain, de mépris attachée à ces mots
Qui pour nous, ont un sens de plus grande importance
On nous appelle "Pieds Noirs", nous acceptons l'injure,
Et ces mots dédaigneux sont comme un ralliement
Comme un drapeau nouveau, comme un emblème pur
On nous appelle "Pieds Noirs", il y a sur nos visages
Le regret nostalgique des horizons perdus,
Et dans nos yeux noyés, d'éblouissants mirages.
On nous appelle "Pieds Noirs" il y a dans nos mémoires
Le souvenir joyeux des belles heures d'autrefois,
De la douceur de vivre, et des grands jours de gloire.
On nous appelle "Pieds Noirs", ami, te souviens-tu
De nos champs d'orangers, de nos coteaux de vigne,
Et de nos palmeraies, longues à perte de vue ?
On nous appelle "Pieds Noirs", mon frère, te souvient-il
Du bruyant Bab-el-Oued, d'El Biar sur sa colline,
Des plages d'Oranie, du glas d'Orléansville ?
On nous appelle "Pieds Noirs", là-bas dans nos villages,
Qu'une croix au sommet d'un clocher dominait,
Il y a un monument dédié au grand courage.
Les nommait-on "Pieds Noirs" les morts des deux carnages
De 14 et 39, les martyrs, les héros
Qui les honorera maintenant tous ces braves ?
On nous appelle "Pieds Noirs", mais ceux qui sont restés,
Ceux de nos cimetières perdus de solitude,
Qui fleurira leurs tombes, leurs tombes abandonnées ?
On nous appelle "Pieds Noirs" nous avions deux patries,
Harmonieusement si mêlées dans nos coeurs,
Que nous disions "ma France", en pensant "Algérie"
On nous appelle "Pieds Noirs" mais nous sommes fiers de l'être
Qui donc en rougirait ? Nous ne nous renions pas
Et nous le crions fort, pour bien nous reconnaître
On nous appelle "Pieds Noirs", nous nous vantons de l'être
Car nous sommes héritiers d'un peuple généreux
Dont l'idéal humain venait des grands ancêtres
On nous appelle "Pieds Noirs" qu'importe l'étiquette
Qu'on nous a apposée sur nos fronts d' exilés,
Nous n'avons pas de honte, et nous levons la tête.
Ô mes amis "Pieds Noirs" ne pleurez plus la terre
Et le sol tant chéris qui vous ont rejetés,
Laissez les vains regrets et les larmes amères
"A quelques encablures de mes 70 ans, à un âge où les souvenirs se
déclinent
plus aisément que les projets et après avoir épuisé mes capacités de
silence, je ressens le besoin d'éclairer un malentendu.
En 35 ans de vie professionnelle, j'ai travaillé avec vous, milité avec
vous, partagé quelques succès et quelques épreuves, communié aux mêmes
valeurs, au même humanisme. J'ai bu à la coupe de ce bonheur de vivre
en
France, de s'étonner de ses richesses, de se pénétrer des mêmes
émotions, au
point que j'avais fini par oublier que j'étais né sur une autre rive,
de
parents venus d'ailleurs et de grands-parents à l'accent impossible
d'une
Île de la Méditerranée.
Je m'étais cru Français comme vous et j'avais cru achever ce travail de
deuil commun à tous les exilés du monde. Et puis, depuis quelques mois,
des
maisons d'édition ont fait pleuvoir témoignages et réflexions sur la
guerre
d'Algérie. Les chaînes de télévision et les radios ont commenté les
ouvrages
et refait l'Histoire de 134 ans de présence française en Algérie.
Avec une étonnante convergence de vues, la plupart ont révélé, sur
cette
période, une vision singulièrement sinistre. J'ai revu l'histoire de ma
patrie, l'Algérie Française, travestie ou défigurée en quelques
propositions
caricaturales :
«La présence de la France en Algérie fut de tout temps illégitime»
«Les Français d'Algérie ont exploité les Arabes et ont volé leurs
terres»
«Les soldats français ont torturé des patriotes qui libéraient leur
pays»
«Certains Français ont eu raison d'aider les fellaghas à combattre
l'armée
française et peuvent s'enorgueillir aujourd'hui d'avoir contribué à la
libération de l'Algérie»."
Alors, j'ai compris que personne ne pouvait comprendre un pays et un
peuple
s'il n'avait d'abord appris à l'aimer... et vous n'avez jamais aimé
"notre
Algérie" !
Alors, j'ai compris pourquoi vous changiez de conversation quand
j'affirmais
mon origine "pied noir" ; j'ai compris que l'exode arménien ou l'exode
juif
vous avait touchés mais que notre exil vous avait laissés indifférents.
J'ai
compris pourquoi les maquisards qui se battaient pour libérer la France
envahie étaient des héros, mais pourquoi des officiers qui refusaient
d'abandonner ce morceau de France et les Arabes entraînés à nos côtés,
étaient traités de putschistes.
J'ai compris pourquoi des mots comme "colon" avaient été vidés de leur
noblesse et pourquoi, dans votre esprit et dans votre langage, la
colonisation avait laissé place au colonialisme.
Même des Français de France comme vous, tués au combat, n'ont pas eu
droit,
dans la mémoire collective, à la même évocation que les Poilus ou les
Résistants, parce qu'ils furent engagés dans une "sale guerre" ! Sans
doute,
même si leur sacrifice fut aussi noble et digne de mémoire, est-il plus
facile de célébrer des héros vainqueurs que des soldats morts pour
rien.
Dans un manichéisme grotesque, tout ce qui avait contribué à défendre
la
France était héroïque ; tout ce qui avait contribué à conserver et à
défendre notre pays pour continuer à y vivre, était criminel... «Vérité
en
deçà de la Méditerranée ; erreur au-delà !"
Vous si prolixes pour dénoncer les tortures et les exactions de l'armée
française au cours des dix dernières années, vous êtes devenus
amnésiques
sur les massacres et les tortures infligés par les fellaghas à nos
compatriotes européens et musulmans. Vous ne trouvez rien à dire sur
l’œuvre
française en Algérie pendant 130 ans. Pas un livre, pas une émission de
télévision ou de radio, rien ! Les fictions même s'affligent des mêmes
clichés de Français arrogants et de Musulmans opprimés.
Ce qui est singulier dans le débat sur l'Algérie et sur la guerre qui a
marqué la fin de la période française, c'est que ceux qui en parlent,
en
parlent en étrangers comme d'une terre étrangère. Disséquer le cadavre
de
l'Algérie leur est un exercice clinique que journalistes, commentateurs
et
professeurs d'université réalisent avec la froide indifférence de
l'étranger.
Personne ne pense qu'un million de femmes et d'hommes n'ont connu et
aimé
que cette terre où ils sont nés. Personne n'ose rappeler qu'ils ont été
arrachés à leur véritable patrie et déportés en exil sur une terre
souvent
inconnue et souvent hostile ... Quand certains intellectuels français
se
prévalent d'avoir aidé le FLN, personne ne les accuse d'avoir armé les
bras
des égorgeurs de Français ...
Cette terre vous brûle la mémoire et le cœur ... ou plutôt la mauvaise
conscience d'avoir bradé, dans la débâcle et le gâchis l’œuvre de
plusieurs
générations de Français vous rend injustes, amnésiques, sélectifs dans
vos
évocations ou pire falsificateurs !
Je n'ai pas choisi de naître Français sur une terre que mes maîtres
français
m'ont appris à aimer comme un morceau de la France. Mais, même si " mon
Algérie" n'est plus, il est trop tard, aujourd'hui, pour que cette
terre me
devienne étrangère et ne soit plus la terre de mes parents, ma patrie.
J'attends de vous amis français, que vous respectiez mon Histoire
même si
vous refusez qu'elle soit aussi votre Histoire. Je n'attends de vous
aucune
complaisance mais le respect d'une Histoire dans la lumière de son
époque et
de ses valeurs, dans la vérité de ses réalisations matérielles,
intellectuelles et humaines, dans la subtilité de ses relations
sociales,
dans la richesse et la diversité de son œuvre et de ses cultures.
J'attends que vous respectiez la mémoire de tous ceux que j'ai laissé
là-bas
et dont la vie fut faite de travail, d'abnégation et parfois même
d'héroïsme. J'attends que vous traitiez avec une égale dignité et une
égale
exigence d'objectivité et de rigueur, un égal souci de vérité et de
justice,
l'Histoire de la France d'en deçà et d’au delà de la Méditerranée.
Alors, il me sera peut-être permis de mourir dans ce coin de France en
m'y
sentant aussi chez moi ... enfin ! "